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«Mieux façonner son travail pour renforcer ses ressources»

La main-d’œuvre d’aujourd’hui se doit d’être de plus en plus flexible. D’après Georg Bauer, l’autodétermination est un facteur décisif du bien-être.

Un tiers des employées et employés sont stressés. Voilà la conclusion de deux études récentes. A quoi cela est-il lié?

Georg Bauer: Le phénomène n’est pas nouveau. Depuis une vingtaine d’années, l’accélération et la densification des processus de travail ainsi que la concurrence entre les entreprises ne cessent d’augmenter. La digitalisation omniprésente y est pour beaucoup. Nous communiquons encore plus rapidement et sommes presque toujours joignables. Ainsi, nous subissons une pression très importante à laquelle il est quasiment impossible d’échapper. Ce développement est en premier lieu un produit de la technologie. Mais les entreprises y réagissent en mettant en œuvre des réorganisations continuelles et des nouveaux modèles commerciaux. Les équipes doivent faire preuve d’agilité, et l’individu doit trouver sa place au sein de structures nouvelles et organisées de manière autonome. Les collaborateurs doivent accepter de prendre de plus en plus de responsabilités. Tous ces changements peuvent entraîner inquiétudes, incertitude et surmenage. De nombreux collaborateurs atteignent leurs limites et l’autogestion devient une source de surcharge.

Comment les entreprises peuvent-elles contrer ce phénomène?

Le rôle de l’entreprise est d’harmoniser le travail et d’agir de façon réfléchie, au lieu d’adopter chaque nouvelle tendance sans faire preuve d’esprit critique. Quelles sont les formes de flexibilisation et d’agilité qui sont cohérentes pour nous? Quelles sont les tendances qu’il ne nous est pas indispensable de suivre? Qu’apporte le changement précisément? Voilà les questions qui doivent guider notre action. Nous devons faire preuve de plus de sang-froid. Les entreprises doivent également observer comment se portent les employés, s’enquérir régulièrement de leur bien-être et, le cas échéant, prendre des mesures afin d’améliorer la situation de travail.

Le font-elles?

La tendance est à l’intensification de la gestion de la santé au sein des entreprises, car les dirigeants prennent conscience de la pression que subissent leurs employés. Selon une étude représentative, 80% des forces dirigeantes s’inquiètent du stress vécu par leurs collaborateurs et veulent réagir face à la situation.

Les employées et employés sont également responsables. Quelles sont les options de gestion du stress qui s’offrent à eux?

Une bonne hygiène de vie est capitale. Elle implique une activité physique régulière, une alimentation saine, un sommeil suffisant et plus généralement, un bon équilibre entre travail et vie privée. Tout cela requiert énormément d’auto-organisation. Les métiers qui permettent aux individus de travailler de manière relativement flexible offrent justement une libre organisation du travail, qui reste cependant un concept exigeant. Que faire? Nous devons participer activement à la conception de notre propre poste au lieu de nous contenter de réagir face au stress. On parle alors de «Job Crafting». En cas d’objectifs trop élevés et non réalistes, il est utile d’en parler à son supérieur afin de rechercher le dialogue en amont et de se fixer de nouvelles priorités. Le Job Crafting signifie également concevoir ses propres tâches: ne pas se contenter d’exécuter des ordres mais réfléchir ensemble et suivre sa propre voie. Enfin, il est possible solliciter du soutien en cas de problèmes et de demander davantage de feedbacks.

La flexibilisation du travail prend de l’ampleur. Deux initiatives parlementaires visent à assouplir la régulation du temps de travail. Quels aspects liés à la santé doivent être pris en compte dans le cadre de la flexibilisation?

Nous parlons toujours de la flexibilisation du temps de travail, mais le sens précis de cette expression reste à définir. La question de savoir si l’employé travaille de manière flexible et auto-déterminée, ou si c’est l’entreprise qui définit la flexibilité, est déterminante. Lorsque l’autodétermination est élevée, mon sens de l’autonomie est renforcé. Car je peux décider de la conception de mon travail: je peux par exemple prendre une pause plus longue en cas de besoin, puis être à nouveau productif par la suite.

Une plus grande autonomie ne pose-t-elle pas un risque d’auto-exploitation?

C’est indéniable. Les personnes ayant des horaires de travail flexibles travaillent en moyenne plus longtemps et de manière plus intensive. De plus, si la personne se fixe ou se voit fixer des objectifs irréalisables, qui la forcent à travailler régulièrement jusque tard dans la nuit et le dimanche, elle court le risque de faire un burn-out. Lorsque je suis libre de concevoir mon travail comme je l’entends, je dois savoir dire stop et me fixer des limites – même si les tâches sont passionnantes et que je n’ai pas l’impression de me surcharger. De nombreuses personnes ne s’en aperçoivent que trop tard. Un bon équilibre entre travail et vie privée requiert également de la vigilance à ce niveau: je pourrais travailler encore longtemps, mais je sais qu’une pause, un changement d’activité, me fera du bien..

Le baromètre «Conditions de travail» a révélé que dans la plupart des cas, ce ne sont pas les employés qui déterminent la flexibilisation du travail, mais les entreprises elles-mêmes. Quel impact cela a-t-il sur la santé?

Lorsque les entreprises décident à court terme des horaires et des charges de travail des collaborateurs, cela entrave leur autonomie en tant que ressource importante de travail. De plus, leur équilibre entre travail et vie privée est également perturbé, car ils doivent continuellement adapter leur vie de famille et la conception de leur temps libre en fonction de leur temps de travail. Les temps de repos sont inefficaces, car les employés se trouvent continuellement en mode veille et parviennent à peine à faire la coupure avec le travail.

Quels sont les autres facteurs qui impactent la santé?

Le temps de travail ne donne que des indications sur les horaires et la quantité de travail. Or, la qualité du travail est tout aussi déterminante pour la santé. Il s’agit ici d’un bon équilibre entre ressources et charges de travail. Contraintes de temps, rôles mal définis, interruptions ou surmenage: voici les charges typiques. Tâches pertinentes, possibilités d’aménagement et surtout, un environnement social positif (avec soutien et reconnaissance mutuels): voici les ressources primordiales.

Quelle est l’importance de la pertinence et de la motivation?

Elle est centrale. La pertinence et la motivation se conditionnent mutuellement. Si l’individu perçoit son travail comme étant pertinent, il sera motivé. C’est pourquoi il est important de donner des tâches pertinentes aux employés, voire de les aider à identifier la pertinence des tâches. Lorsque je fais un travail pertinent, j’ai plus de chances de m’identifier à la tâche, de m’amuser et d’être pris dans un flux de productivité. De plus, mes chances de surmenage sont plus faibles.

Quelle est la tendance en matière de développement du travail?

Un fractionnement est attendu. D’une part, la digitalisation donne naissance à des tâches de plus en plus exigeantes, qui tendent globalement à être vécues comme pertinentes. D’autre part, nous continuons à effectuer de nombreuses tâches de routine, moins épanouissantes. Cependant, des études montrent que plus de 80% des sondés considèrent leur travail comme étant pertinent et ce, quelle que soit leur catégorie professionnelle.

Flexibilisation de la loi sur le travail: position de la Société des employés de commerce

En contexte de numérisation croissante, les employés ont toujours plus besoin des travailler indépendamment du lieu et de l’heure, aspirant ainsi à un équilibre flexible entre vie professionnelle et vie privée. La Société des employés de commerce soutient une modernisation de la loi sur le travail qui permette davantage de flexibilité tout en protégeant les employés. En savoir plus

On ne peut pas parler de la santé sur le lieu de travail sans aborder le thème de l’ergonomie.

En matière d’ergonomie au sens strict, c’est-à-dire la conception du poste de travail en lui-même, la Suisse est l’un des meilleurs élèves. Mais le système global est également important. Comment les postes de travail sont-ils agencés les uns par rapport aux autres? Ai-je la possibilité de travailler sans être dérangé? Y a-t-il des zones différentes dédiées à des tâches et à des besoins différents? Je vois là de grandes différences. L’organisation du poste de travail représente également différentes cultures. Auparavant, l’on trouvait principalement des bureaux individuels, qui ont tendance à freiner la communication et la coopération. Aujourd’hui, nous trouvons de plus en plus d’open space, leur objectif étant de faciliter les échanges et d’encourager la flexibilité des employés. Etant donné qu’ils impliquent de possibles dérangements des employés, il convient de les combiner à des zones de réunion et de retrait, où l’on peut travailler de manière créative ou concentrée. Un aspect important: l’organisation des postes de travail ne doit pas être imposée «par le haut» mais développée en collaboration avec les employés. Cela permet d’augmenter l’acceptation.

Quel est l’impact du télétravail sur la santé?

Le télétravail permet de faciliter la compatibilité entre vie professionnelle et vie privée, tant que ces conditions sont clairement définies avec l’employeur et qu’une limite suffisante est établie entre les deux aspects. Nos recherches ont démontré qu’une séparation insuffisante entre vie professionnelle et vie privée réduisait les efforts consacrés au repos actif. Les employés ont alors tendance à moins bouger, à ne pas faire la coupure et à moins bien dormir, ce qui a un impact négatif sur leur santé.

Quelle est la tendance en matière de développement de la gestion de la santé au travail?

On accorde une certaine importance au style de vie. Les entreprises soutiennent par exemple leurs employés en leur proposant des programmes de fitness ou encore d’alimentation équilibrée. La gestion de la santé a tendance à passer par le numérique. Des applications nous aident à surveiller notre propre comportement et nos périodes de repos. Est-ce que je bouge assez? Est-ce que je dors assez? A cela s’ajoutent des outils de relaxation et de méditation consciente. A l’avenir, des caméras intégrées dans les ordinateurs pourraient repérer le niveau de fatigue de leurs utilisateurs. En analysant le ton de vos e-mails ou de vos conversations téléphoniques, des programmes pourraient déterminer votre niveau de stress et votre amabilité vis-à-vis des clients. C’est ici que se brouillent les limites entre outils de retour et outils de contrôle; c’est pourquoi il convient de faire preuve de retenue lors de leur utilisation.

Le monitoring de notre propre comportement n’engendre-t-il pas un stress supplémentaire?

Ces outils sont simplement une aide pour les personnes qui ne prêtent pas suffisamment attention à leur état mental du fait de leur quotidien agité. Evidemment, les applications doivent être utilisées avec mesure. Si elles deviennent une source de stress, mieux vaut y renoncer. Ce que je trouve problématique, c’est le fait d’implémenter de tels outils sur des équipes entières et dans le cadre d’une mise en compétition, par exemple afin d’élire l’équipe la plus active.

Auteur

  • Rolf Murbach