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Nul ne peut l'ignorer: la lutte pour l'égalité s'apparente à un travail de Sisyphe. À peine une catégorie de personnes accède-t-elle a plus d’égalité que l'on découvre de nouvelles per-sonnes qui sont discriminées. En 2047, comment avons-nous relevé ce défi? Ou plutôt, avons-nous réussi à le relever?

[Missive des temps futurs du Dr. Joël Luc Cachelin]

Première avancée significative en matière d'égalité : réinventer le concept de conseil d'administration. Tu peux arguer qu'il ne représente que la petite pointe dorée de la pyramide[BM1] . Certes, c'est vrai! Mais ne sous-estime pas son symbolisme. La pointe de la pyramide scintille, attire l'attention et est visible de loin. De là-haut, on a une vue d'ensemble et donc la possibilité d'initier des changements décisifs pour l'avenir.

À la fin des années 2020, des quotas stricts ont été introduits dans le but de restructurer les conseils d'administration. En limitant leur durée à quinze ans, les effets recherchés se sont effectivement fait sentir. Grâce aux quotas, une certaine égalité s'est établie au bénéfice des femmes, des différentes générations ou couches sociales, ainsi que pour la reconnaissance des divers types de carrières et de visions économiques. En outre, la durée de mandat maximale pour les membres des conseils d'administration a été limitée à huit ans; le nombre de mandats autorisés par personne restreint à quatre. Aujourd'hui, dans certaines entreprises, les collaboratrices et collaborateurs élisent un membre de leur conseil d'administration, mesure qui accroît encore davantage la diversité des représentant-e-s au sein du top management.

Ces nouvelles règles du jeu ont également permis de repositionner l'organe du CA, dont la fonction consiste moins à contrôler et à prescrire des stratégies. Ce sont l'échange, la mise en réseau et le feedback qui priment désormais. Au fil du temps, la diversité s'est diffusée dans les entreprises, jusqu'à en atteindre les plus hautes fonctions. Elle a notamment eu une incidence sur le nombre de femmes occupant des postes de direction. Les employeurs dont la direction est inégalitaire en termes de genre sont aujourd'hui considérés comme conservateurs et n'attirent plus.

La cravate, aussi désuète que le chapeau haut-de-forme

Le renforcement du concept d'égalité passe en outre par une approche des structures pyramidales elles-mêmes, notamment par la culture d'entreprise. Évidemment, lorsque les premières entreprises ont adopté des cultures visant à renforcer l'égalité, il ne s'agissait pas de considérer l'ensemble de leurs employé-e-s de manière identique. Elles entendaient plutôt améliorer l'égalité des chances parmi leurs collaboratrices et collaborateurs.

Par exemple, dans les entreprises où le savoir occupe une place importante, chaque employé-e devrait avoir accès à un espace de travail lui permettant de se concentrer. Et évidemment, on ne parle pas là du fait de disposer d’un bureau personnel – ce concept a quasiment disparu aujourd'hui. Idem pour les journées sans réunions qui ne sauraient être réservées qu’aux cadres ou autres spécialistes de projets. Et oui: le pouvoir sur le temps et l'espace est à la portée de toutes et tous. L’égalité impliquait par ailleurs un accès au sport, aux loisirs, au coaching, à l'orientation professionnelle ainsi qu'à la formation et au perfectionnement. Un quatrième pilier a en outre fait ses preuves, à savoir qu’employé-e-s et entreprises économisent ensemble pour financer l'apprentissage tout au long de la vie.

À propos d'argent : nombreuses sont les entreprises qui, en matière financière, sont plus égalitaires qu'il y a quelques décennies. Les bonus sont déterminés par les équipes elles-mêmes et un grand nombre d'employeurs se sont volontairement accordés sur une fourchette salariale maximale. La manière d'aborder les symboles de statut et de pouvoir a joué un rôle tout aussi important. Les entreprises pour lesquelles l'égalité des chances constitue une priorité misent depuis des années sur une culture du tutoiement et ont fait disparaître les cravates. Elles semblent aujourd'hui tout aussi désuètes que les chapeaux haut-de-forme à votre époque.

Enfin, et ce n'est pas le moindre, les règles non écrites et les jeux de pouvoir du monde du travail sont désormais obsolètes - fini par exemple le fait d'attendre que la personne la plus haut placée entre dans la pièce pour s'asseoir autour de la table. Les gens doivent se sentir à l'aise au sein de leur entreprise et ne pas avoir l'impression de jouer la comédie en permanence.

C'est à 40 ans que ce décide qui partira heureux à la retraite

Désormais, l'égalité implique d'investir en faveur de toutes les générations. L'expérience nous a appris que cela vaut la peine de stimuler les employé-e-s peu avant leurs 40 ans. Une personne qui a intérieurement démissionné à 45 ans ne retrouvera guère le plaisir de travailler et restera à jamais un "quiet quitter". Une telle situation est tout aussi triste pour les collaboratrices et collaborateurs que pour les employeurs, surtout à l'heure actuelle où de plus en plus d'employé-e-s travaillent jusqu'à l'âge de 70 ou 80 ans. C'est pourquoi la plupart des entreprises proposent un bilan psycho-professionnel à 40 ans dont la confidentialité est garantie grâce à la conduite des entretiens avec les RH d'une autre entreprise.

Outre ces check-up, de nombreuses offres de carrière s'adressent au groupe cible des plus de 40 ans. Plusieurs employeurs proposent des «programmes de formation», qui permettent aux personnes d'âge intermédiaire de suivre une nouvelle formation pendant deux ans. Au cours de cette période, ils se forment à trois nouvelles fonctions au sein de trois entreprises différentes et redécouvrent ainsi le monde du travail.

Il me reste encore une dernière chose à te raconter. Il s'est avéré utile, du point de vue du recrutement, d'améliorer les conditions d'accès en recourant à l'anonymat, c'est-à-dire sans indiquer ni l'âge, ni le sexe, ni la formation, ni le visage. Nous ne postulons plus en envoyant des CV, mais en proposant des textes et des vidéos qui expliquent pourquoi un projet nous passionne et ce que nous pensons pouvoir apporter à l'entreprise. Grâce à ces mesures, nous avons pu limiter les effets du désintérêt personnel (quiet quitting) et réduire le nombre de personnes se sentant discriminées dans le monde du travail.

«L'expérience nous a appris que cela vaut la peine de stimuler les employé-e-s peu avant leurs 40 ans.»
Dr. Joël Luc Cachelin:

Publié le 8.12.2022

Chroniqueur

  • Dr. Joël Luc Cachelin

    Fondateur de la Wissensfabrik

Portrait

  1. Dr. Joël Luc Cachelin (1981) est un futurologue suisse. Il y a 13 ans, il fonde la Wissensfabrik afin d’inspirer, d’accompagner et de conseiller les entreprises sur les questions d’avenir. Il apporte son savoir à des comités d’experts, notamment aux conseils consultatifs du centre de recherche de la Banque nationale suisse et de Swissmedic 4.0 ainsi qu’à la commission d’experts sur le mandat de prestation de service universel de la Poste. Son travail s'appuie sur ses études d’économie réalisées à l’université de Saint-Gall. En 2021, il a conclu son deuxième cursus universitaire par un master en histoire à l’Université de Lucerne.

    Son goût pour le changement est au cœur de son travail. D'une part il observe comment les différents processus de transformation façonnent nos représentations de l’avenir, de l’innovation et du progrès. Et d’autre part, il explore le passé à la recherche des horizons futurs d'antan dont la pertinence pourrait redevenir actuelle. Dans ses voyages dans le temps, il se situe entre les années 1850 et 2050.

  2. La Wissensfabrik est un think-tank qui se penche sur les défis lancés par la digitalisation. Elle propose des études, des conférences, des conseils ainsi que le développement d’outils de management. La Wissensfabrik produit également de nombreux ouvrages. Le dernier en date : Antikörper – Innovation neu denken (Stämpfli, 2021).

Une chronique du futur

Sur mandat de la Société des employés de commerce, le Dr. Joël Luc Cachelin s’est penché sur les thèmes qui nous tiennent à cœur, à savoir l’économie du sens, les nouvelles formes de travail (New Work) et la santé, les compétences d’avenir (Future Skills) et l’égalité des chances. Il propose une analyse depuis l’année 2047 et brise nos schémas de pensée traditionnels. Sa chronique [Missive des temps futurs] sera publiée quatre fois au cours de l’année.

Pour la Société des employés de commerce, une chose est sûre : quoi que l’avenir nous réserve, nous accompagnerons activement nos membres et les employé-e-s issus des secteurs du commerce et de la gestion d’entreprise tout au long de ce voyage dans le temps.

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